Dimanche 16
Minuit 40, siège 8A, au dessus de l’aile, devant la nuit. J’adore décoller. Je survole encore la Chine mais n’en ai plus pour longtemps. Dans une heure je serai en Thaïlande avec l’embarras du choix : rester quelques jours à Bkk, attendre 7h un vol pour Phuket, 10h, un vol pour Krabi ou acheter un guide et aller en Birmanie. Aux dernières nouvelles j'étais partie pour la plage, mais un arrêt dans une ville un minimum civilisée m’enchante aussi. Je suis extrêmement heureuse de quitter la Chine. J’ai fait mes au revoir à Anthony, Malcom et Suzanne. Anthony risque de me manquer, j’avais pris l’habitude de sa présence, je me suis laissée un peu apprivoisée par sa gentillesse, son humour, son intelligence et sa langue natale. Je ne doute pas que nous nous reverrons quelque part durant notre périple.
Ce matin je me suis délestée d’une valise, je ne voyage plus qu’avec ma vielle valise que je vais devoir remplacer (je l'ai fermée pour la dernière fois, en l'ouvrant je la casserai) et le métier à broder. J' ai laissé plus de la moitié de mes affaires, je ne sais plus trop ce que contient ma valise, mais c’est un signe. Au départ de Paris, je m’imaginais dans les situations les plus extrêmes nécessitant couverture de survie et kits vitaux, alors qu’il m’est impossible de dormir dans une chambre sans A.C. Restent les 4 vaporisateurs anti bêtes, les livres, quelques habits, le maquillage, et les médicaments. J’ai offert mon ancien métier à broder aux brodeuses ravies, tout le monde me connaît dans le coin, c'est sympathique.
Anthony, Malcom et la jeune Tchäne Ouane (qui se fait appeler Emilie) sommes allés à la poste cet après midi.
Très amusante rencontre avec Malcolm, nous avons peut-être joué ensemble enfant. Au jardin d'acclimatation tout d'abord, son père travaillait alors à la Défense ou vers 14 ans lorsque j'allais passer mes vacances à West Wickham, non loin de Chalfont St Peter, d’Alesbury et jouais au Rounders avec les gamins des environs que Malcolm habitait.
Je ne pensais pas rencontrer quelqu'un qui avait vécu le couvre-feu dû au Fox (serial killer des années 80 que l'on compara à tors à Jack l'éventreur) en plein milieu de la Chine, vingt ans plus tard, ni même trouver qu'Adam Green avait des accents de Julian Cope et m'entendre répondre, Teardrops Explode.
Malcolm a 41ans, habite à Birmingham. Suite à un travail parfaitement mené qui lui a rapporté une bonne somme, il a planifié son voyage qui durera deux ans. Il sait où il va, ce qu’il va faire, pour combien de temps et ce qu’il fera en rentrant en Angleterre. Après la poste, il est allé chez le coiffeur.
Sim, le patron de l'auberge, nous a invités à diner dans un très bon restaurant cantonnais (Anthony, Malcolm, un japonais, une chinoise et moi) il n'aime pas non plus la cuisine sichuannaise trop grasse.
Je n’arrive pas à croire que je vais enfin être libérée de cette Chine poisseuse et collante. En Chine la télévision ne propose que les chaînes chinoises dont la CCTV9 en anglais qui évidemment fait l’apologie de la Chine. La musique de merde, le bruit, les Klaxons, les odeurs abominables, les toilettes dégueulasses, les regards, le brouillard, les armes, les militaires… Lorsque l’on est emprisonné en Chine, la famille doit payer le loyer de la cellule. Lorsque l’on est exécuté en Chine, la famille reçoit la balle, et la note qui va avec. Je suis sure que je peux en trouver d'autres, plus ou moins vraies mais peu importe, à bas les yuans, vives les Bahts.
Il y a trois ans de cela, je débarquais à Bkk, premier voyage seule si loin, munie d'un vol sec. Je suis restée quelques jours dans un hôtel dont je n’arrive pas à me rappeler du nom. Avant de partir j'ai fait une recherche fantastique sur google earth. Une ville visitée 3 ans auparavant pour peu de temps… Je repère d’abord le fleuve, puis crois me rappeler du nom du quartier. Puis du skytrain; je longe le skytrain et retrouve l’arrêt. Les arrêts, je pouvais m’arrêter aux deux. Je reconnais enfin le pont sous lequel je passais et ma rue!!.Je sais donc dans quelle rue me rendre pour rejoindre mon hôtel s’il existe toujours. Suriwong road.
Il fallait que je retourne en Thaïlande, à Bkk précisément. Je ne pensais pas m’y trouver à ce moment là, en ce moment, mais m’y voici ; dans quelques heures. Quelle étrange et passionnante vie que celle de Wanderer. Très angoissante parfois, déstabilisante, déprimante, mais à cet instant, formidable. Etre dans cet avion, réservé deux jours plus tôt, arriver dans une heure, ne pas encore savoir que faire à l’arrivée, faire selon mon envie, la fatigue, l'impression… Rester une journée pour me reposer, dormir et repartir demain, demain soir, ce soir, tout à l’heure dans quatre jours, un mois…
Connaissant Bkk, j’ai un peu l’impression de rentrer chez moi et en suis heureuse.